C’est en passe de venir une éternelle antienne : « les objets connectés santé doivent être pris en charge » entend-on partout. « Les Français enjoignent les professionnels de santé à adopter les objets connectés » pouvait-on lire hier sur le site latelier.net.
Quoi de plus logique, si l’on considère les résultats du dernier sondage IFOP, dont il résulte que 79% des personnes interrogées considèrent que ces objets permettent un meilleur suivi médical ?
Alors pourquoi n’est-ce toujours pas en place ? Pourquoi les professionnels de santé ne peuvent-ils pas prescrire d’objets connectés santé ? Pourquoi l’arrêté du 15 février 2002 fixant la liste des marchandises dont les pharmaciens peuvent faire le commerce dans leur officine n’autorise-t-il pas leur vente ?
Pour répondre à ces questions, il faut se pencher sur les conditions auxquelles un produit doit satisfaire pour pouvoir être vendu en pharmacie et éventuellement pris en charge par l’Assurance Maladie.
La condition sine qua non, c’est que soient garanties non seulement l’innocuité, mais aussi la fiabilité du produit. Quoi de plus normal, pour un objet dont on attend qu’il permette le suivi médical ? A quoi servirait ainsi un tensiomètre connecté dont la fiabilité ne pourrait pas être reconnue ou qui présenterait un risque pour le patient ? Le législateur a déjà déterminé comment répondre à cette condition en créant la notion de dispositif médical (DM).
Car oui, un objet connecté santé, c’est un DM. Vu la finalité recherchée par les consommateurs, à savoir bénéficier d’un meilleur suivi en télétransmettant des données biologiques, on ne saurait en effet nier qu’il s’agit d’un instrument, appareil, équipement ou produit destiné à être utilisé chez l’homme à des fins médicales.
Pour pouvoir prescrire un objet connecté ou le vendre en pharmacie et envisager sa prise en charge par l’assurance maladie, il faut donc avoir obtenu un « marquage CE ».
Ce marquage, c’est la pierre d’achoppement de tout le dispositif.
Pourquoi n’est-ce donc pas déjà fait ?
En pratique, il existe déjà des objets connectés santé marqués CE, par exemple des tensiomètres. Ils peuvent parfaitement être prescrits par un médecin et/ou être vendus en pharmacie :
« La prescription de médicaments ou produits destinés à la médecine humaine mentionnés à la présente section est rédigée (…) sur une ordonnance et indique lisiblement : (…) La dénomination du médicament ou du produit prescrit, ou le principe actif du médicament désigné par sa dénomination commune, la posologie et le mode d’emploi, et, s’il s’agit d’une préparation, la formule détaillée ; »
« Les pharmaciens ne peuvent conseiller, dispenser et vendre dans leur officine que les produits, articles, objets et appareils suivants qui correspondent à leur champ d’activité professionnel : (…) Les dispositifs médicaux à usage individuel, à l’exception des dispositifs médicaux implantables ; »
Pourquoi ne sont-ils pas remboursés, alors ?
Parce qu’outre la démonstration de la plus-value du dispositif par rapport aux produits comparables existants (l’objet connecté présente-t-il vraiment un intérêt, en terme de santé ?), la prise en charge par l’Assurance Maladie suppose la fixation d’un tarif « de responsabilité » à concurrence duquel elle interviendra.
Cette ingérence des pouvoirs publics est directement liée au principe cartésien du système social français : la solidarité. Pour que l’Assurance Maladie puisse fonctionner, il faut en effet uniformiser les tarifs à concurrence desquels sa prise en charge intervient. A défaut, on ne parlerait plus du « trou de la sécu ». En fait, on ne parlerait juste plus du tout de la sécu !
D’accord, et pourquoi de tels tarifs n’ont pas été adoptés pour les objets connectés santé marqués CE ?
Plusieurs raisons sont envisageables.
Le fabricant n’en a pas fait la demande :
– peut-être le tarif fixe ne lui convient-il pas,
– peut-être le mode de distribution sélectionné n’est-il pas compatible avec la prise en charge (comment un Store américain pourrait-il transmettre une facture à la sécu française ?),
– peut-être a-t-il été refroidi par le montant de l’investissement à réaliser (le dépôt de la demande doit s’accompagner du paiement d’une taxe d’un montant de 3 220,00 euros).
La demande a été rejetée : peut-être la HAS ou la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) n’ont-elles pas estimé que l’objet connecté répondait à un besoin ou qu’il présentait une plus-value suffisante par rapport à des produits comparables considérés comme des références selon les données acquises de la science.
La demande est en cours d’instruction : outre le fait que l’instruction des demandes est longue, il peut être difficile d’apprécier l’apport d’objets connectés disruptifs, ce qui peut induire un retard dans la prise de décision.
Au vu de ces éléments, faut-il donc vraiment attendre, souhaiter, encourager l’intervention de l’Assurance Maladie, du Ministère de la Santé ou, à défaut, du législateur ?
La sécurité des malades et la pérennité du modèle de sécurité sociale français ne justifient-elles pas au contraire que ce soient les fabricants qui se plient au cadre législatif en place ?
Ceci étant, concédons-le. Comme l’a fait remarquer le Centre d’Analyse Stratégique, quelques aménagements seraient nécessaires, pour réduire les délais de la procédure, faciliter l’évaluation de l’impact des TIC et tenir compte du bref cycle de vie de ces objets connectés.