Il y a encore quelques mois, professionnels de santé et patients restaient mesurés quant à l’utilisation des outils d’e-santé. La situation actuelle a balayé l’argumentaire au terme duquel ces dispositifs n’avaient pas fait leur preuve. Nécessité – mais surtout arrêté[1] et communiqué[2] ministériels – faisant loi, ils sont désormais plébiscités.
Les textes ont ainsi libéralisé la téléconsultation, prévoyant une prise en charge indépendamment d’une partie des dispositions de l’avenant 6 à la convention Assurance Maladie / Médecins, et autorisé les actes de télésoin, profession par profession, malgré l’absence de cadre juridique en « droit commun ». Le Ministre en charge de la santé est allé plus loin, en autorisant le recours à des solutions n’étant pas sécurisées et, dans certains cas, la facturation à l’assurance maladie des téléconsultations sans visioconférence.
La question – qui devrait dès à présent être posée – est celle de la pérennité des mesures prises durant l’état d’urgence sanitaire.
Il est clair que l’autorisation de substituer à un médicament à usage humain un produit vétérinaire et la possibilité d’utiliser des DMDIV dépourvus du marquage CE devront disparaître rapidement, avec la fin de l’état d’urgence sanitaire, et même peut-être avant.
Mais au terme de la période de confinement, applications mobiles et services internet – qui auront à l’évidence fait leurs preuves – continueront en toute logique d’être utilisés par des professionnels soucieux de limiter la contagion et des patients fuyant la compagnie des salles d’attente. La levée de l’état d’urgence sanitaire, par nature temporaire, suffira-t-elle à rassurer chacun ou la pandémie actuelle va-t-elle générer une hypocondrie spécifique, relative aux infections nosocomiales ou associées aux soins ? Selon toute vraisemblance, l’e-santé va donc s’installer et certaines pratiques être pérennisées.
Partant de là, il sera difficile de dire aux parties prenantes aux actes de télémédecine et de télésoins que les conditions de droit commun – et leurs modalités d’interprétation – à la réalisation et à la prise en charge par la sécurité sociale seront restaurées. Le « durcissement » apparent des conditions serait mal perçu et vraisemblablement, la fin de l’état d’urgence devrait s’accompagner d’une révision des dispositions actuelles.
Gare toutefois à l’effet miroir.
Comment réagiront les professionnels utilisant des solutions ne respectant pas les règles de sécurité de l’information ? Comment les faire migrer vers une solution conforme ? La politique de la baguette semble devoir être écartée. Il est peu probable de voir la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés – qui a inscrit les traitements de données de santé à son programme annuel de contrôle – venir contrôler et sanctionner des praticiens qui se seront émancipés du RGPD, en application de l’arrêté du 23 mars 2020. En effet, si le principe de la hiérarchie des normes pourrait permettre de critiquer la licéité de la possibilité d’utiliser « tout autre outil numérique » que ceux « respectant la politique générale de sécurité des systèmes d’information en santé et la réglementation relative à l’hébergement des données de santé », une intervention de la CNIL dans ce cadre semblerait totalement inaudible. Le précédent « ARS Grand Est », dont le directeur général a été limogé pour avoir maintenu le plan de réduction des lits au CHU de Nancy, le suggère. Apparemment, le « retour à la normale » ne pourra se faire qu’avec des mesures incitatives, notamment financières.
Gageons donc que la fin de la pandémie, loin de signer le retour au présentiel, sera caractérisée par une recherche d’une vraie coordination avec les actes réalisés à distance.
[1] Arrêté du 23 mars 2020 (NOR: SSAX2007864A).
[2] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/soins-hors-covid-19.pdf.