Voilà deux directives qui auront été transposées en droit français rapidement. Les directives 2014/24/UE et 2014/25/UE portant respectivement sur la passation des marchés publics et sur la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, transposées par le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014, ont en effet été adoptées par les instances communautaires le 26 février 2014.
Le sujet ne vous intéresse pas ? En fait, si, vous allez voir.
Car du fait de ces deux textes européens, le droit des marchés publics permet désormais de conclure avec des pouvoirs adjudicateurs, tels que des Centres Hospitaliers, des partenariats d’innovation.
Sans surprise, l’objet de ce nouveau contrat sera la recherche et le développement (R&D), mais il ne s’y limitera pas puisqu’il devra également répondre aux besoins de la personne publique en terme de fournitures, services ou travaux innovants constituant le résultat de cette R&D.
Oui, ce partenariat d’innovation, c’est peut-être la chance pour les start-ups et entreprises innovantes en santé de pouvoir non seulement proposer leurs produits à des personnes publiques, mais surtout d’obtenir que ces pouvoirs adjudicateurs participent au développement desdits produits.
Trop beau pour être vrai ? Bien sûr, il y aura des conditions.
Le texte commence par rappeler ce que l’on entend par « innovant ». Sont considérés comme tel « les fournitures, services ou travaux nouveaux ou sensiblement améliorés qui répondent à un besoin qui ne peut être satisfait par des fournitures, services ou travaux déjà disponibles sur le marché ». Cette condition est relativement souple. Elle n’impose nullement l’existence d’un verrou technologique. Il faut simplement que les fournitures, services ou travaux ne soient pas disponibles sur le marché. Sur ce dernier point, il pourrait y avoir des débats. Quid des produits en cours de développement ? Vraisemblablement, ils ne pourront pas être pris en compte pour refuser la signature d’un partenariat d’innovation. La notion de « disponibilité sur le marché » serait ainsi relativement proche de celle de « mise en circulation ».
Ensuite, il faudra naturellement faire avec les impératifs de publicité et de mise en concurrence. En fonction du montant sur lequel portera le partenariat, il pourra être passé selon une procédure négociée.
Mais les critères de sélection des candidatures sont revus. Le pouvoir adjudicateur pourra prendre en compte des éléments comme la capacité des candidats dans le domaine de la R&D ainsi que dans l’élaboration et la mise en œuvre de solutions innovantes. Cet assouplissement devrait ainsi permettre aux start-ups d’accéder à des marchés publics souvent trustés par des opérateurs économiques disposant de plus d’expérience et de moyens.
Et une fois que le partenariat est signé, comment ça se passe ?
Le Code des Marchés organise le partenariat d’innovation autour d’une ou plusieurs phases suivant le déroulement du processus de R&D et d’une ou plusieurs phases d’acquisition des produits en résultant. A chaque phase correspondra des objectifs définis contractuellement, mais susceptibles d’évoluer en fonction des résultats déjà obtenus et contraintes rencontrés. La structure, la durée et la valeur de chacune seront adaptées au degré d’innovation de la solution proposée ainsi qu’à la durée et au coût des activités de recherche requises pour le développement d’une solution innovante non encore disponible sur le marché. A l’issue d’une phase de R&D, c’est au pouvoir adjudicateur qu’il reviendra de décider de poursuivre l’exécution du partenariat ou d’y mettre un terme. Dans cette dernière hypothèse, les conséquences financières de la rupture auront été prévues au contrat.
Jusque là, le partenariat d’innovation ne déroge pas à ce que pratiquent d’ores et déjà les « financeurs publics » de la R&D, comme le Fonds unique interministériel (FUI), la Caisse des Dépôts, la BPI, etc.
Lorsque le produit sera développé s’ouvrira la phase d’acquisition. Le Code des Marchés précise ici que le pouvoir adjudicateur ne pourra acquérir que les fournitures, services ou travaux correspondant aux niveaux de performance et aux coûts maximum prévus par le partenariat d’innovation. Cela semble de bonne guerre, si l’on considère les principes généraux de la commande publique. C’est plus délicat à admettre, si l’on considère l’obligation de moyens qui régit traditionnellement les contrats de recherche privée. Il faudra donc veiller à s’arroger le droit d’exploiter les résultats ne répondant pas à ces niveaux de performance et/ou à ces critères de prix maximum.
Quid de la propriété intellectuelle, justement ?
C’est un partenariat, les droits doivent donc être répartis entre les cocontractants selon des modalités prévues au contrat.
En clair, à l’instar de ce que nous faisons déjà dans le cadre d’accord de consortium, il conviendra de définir les droits de chaque partie, notamment en prévision d’une exploitation commerciale, et, en cas de copropriété de connaissances nouvelles, organiser a priori cette copropriété.
Naturellement, tout est confidentiel.
Que ce soit au stade de la conclusion du partenariat d’innovation ou une fois les résultats obtenus, le décret comporte des mesures destinées à assurer la confidentialité du savoir-faire, des informations et connaissances et des solutions. Une demande de communication au titre de la loi du 17 juillet 1978 ne pourra ainsi prospérer qu’avec l’accord du partenaire.
Avant de vous lancer dans les négociations de votre partenariat d’innovation, quelques conseils.
La vraie difficulté du partenariat d’innovation tiendra à la rédaction du contrat.
Déjà, dans les marchés régis par les cahiers des clauses administratives générales (CCAG) « Propriété Intellectuelle » (CCAG-PI) ou « Technologies de l’Information et des Communications » (CCAG-TIC), on sent parfois quelques flottements – au demeurant bien naturel – en ce qui concerne la gestion de la confidentialité ou de la propriété intellectuelle.
Les administrations intéressées devront donc faire évoluer la pratique de leurs services marchés. En effet, le partenariat d’innovation opère un changement de paradigme majeur. Les pouvoirs adjudicateur ne seront plus « acheteurs » d’une solution, ils en seront les « co-auteurs ». Les rédacteurs trouveront certainement l’inspiration dans des accords de consortium.
Mais avant de maitriser les questions complexes en terme de propriété intellectuelle et de droits d’exploitation sous-tendues par tout partenariat de R&D, mieux vaut faire auditer le partenariat par un juriste disposant de l’expérience de ce genre de coopération.