Certains se souviendront peut-être de l’extension du « Sunshine Act à la française » aux « personnes qui, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, présentent un ou plusieurs produits de santé, de manière à influencer le public ». J’écris « peut-être » parce que l’article L1453-1 du Code de la Santé Publique a été retouché à trois reprises en 2019. Dans le viseur du législateur, très clairement, les « influenceurs » ayant contractualisé avec un industriel de santé ou percevant un avantage direct ou indirect de ces personnes. Mais faisant preuve d’une prudence légistique certaine, les rédacteurs du texte avaient préféré une longue explication permettant d’englober des situations diverses, actuelles comme à venir.
Le Premier Ministre et la Ministre de la Santé ont signé, le 30 décembre 2019, le décret n° 2019-1530 du 30 décembre 2019 relatif à la transparence des liens d’intérêts entre les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé à usage humain et ces personnes. Le texte a été publié au Journal Officiel, le lendemain, avec l’avis de la CNIL.
Le projet de décret, dont la CNIL avait été saisie, semble ne différer que sur la forme. Mais la forme, ça peut compter beaucoup.
Le Gouvernement avait, semble-t-il, décidé d’utiliser le terme « influenceur », plutôt que de reprendre le texte de loi ou de viser le « 7 bis du I de l’article L1453-1 ». Oui, cette dernière tournure a un fort potentiel urticant pour les non-juristes, mais elle s’avère assez pratique, pour ne pas avoir à réviser les tournures. La délibération de la CNIL du 12 décembre 2019 prend ainsi l’apparence d’un gentil pied de nez à l’attention des auteurs du décret :
« La Commission relève donc que le décret résume la définition posée par la loi par le terme « influenceur », dont il entérine ainsi la définition juridique. »
Mais derrière cette pointe aurait pu se cacher une véritable difficulté. Le recours à ce terme aurait pu avoir pour conséquence non pas de réduire la définition posée par la loi, mais d’ouvrir une voie de recours contre le décret pour le faire « corriger ». La remarque de la CNIL était donc prudente et elle a été entendue par les ministères.
La remarque de fond formulée par la CNIL n’a en revanche pas été prise en compte. La Commission a en effet relevé que les industriels de santé devront, à compter de 2021, déclarer notamment la « dénomination sous laquelle [la personne] exerce son activité d’influence ». Or, en droit, le terme de « dénomination » désigne le nom de certaines formes de société ou une variété végétale…
Là encore, un non-juriste pourrait critiquer le formalisme juridique, mais comme le relève l’avis, les textes relatifs aux professionnels de santé et étudiants évoquent bel et bien le « nom » de ces personnes physiques. Pourquoi alors avoir utilisé un autre terme, a fortiori un terme différent et, en l’occurrence, inapproprié ? A la question posée par la CNIL, le Gouvernement a choisi de ne pas répondre, maintenant la « dénomination ». L’utilisation du terme aurait pu être justifiée, en pratique, pour englober les pseudonymes, nom de marque, etc., mais cela aurait alors dû être expliqué.
D’accord, et concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Simplement un peu plus d’incertitude et d’insécurité pour les industriels de santé, à défaut de circulaire interprétative, quant aux éléments à déclarer concernant les influenceurs !